Billet d’humeur du jour : le savoir par la main, l’écriture.

Mes amis, ceux qui me connaissent pour de vrai et au-delà des mots, estiment que mes silences sont plus durs et sévères que mes coups de gueule. Mais aujourd’hui je vais l’ouvrir à l’écrit pour une noble cause, à savoir l’écriture manuscrite, celle qui, gamins, nous fait tant trembler et qui nous rendait joyeux une fois maîtrisée (on pouvait écrire partout, sur des feuilles, des murs, des vitres de voiture avec nos doigts et grâce à la buée…).
Comme pour tout savoir son apprentissage est laborieux, fruit d’un échange long et quotidien avec l’enseignant, mais ô combien valorisant.

L’écriture, ce pouvoir de dire par la main, est en train d’être remis en cause par certains gouvernements (E-U, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, soit le gotha de la fange néo-libérale). L’apprentissage de l’écriture manuscrite devrait être supprimé ou rendu facultatif (ce qui est équivalent… ou du moins qui éliminerait les pauvres de ce processus. Par exemple, dans mon ancien collège de pauvres le latin était facultatif, ça tombait bien il n’y avait pas de prof pour l’enseigner!) dans 45 des 50 États américains pour la rentrée des classes 2014.
C’est peut-être tant mieux. C’est tant mieux. Des populations qui se réjouissent de leur sort dicté par les industriels, car il s’agit bien ici de vendre de nouveaux matériels (et de les changer régulièrement grâce à leur obsolescence programmée) et non d’améliorer la vie courante, ne méritent peut-être pas d’en savoir plus (par exemple 25% des enfants américains vit sous le seuil de pauvreté, ne plus apprendre à écrire ne changera pas grand chose à leur vie doit-on se dire à Washington). Une nation éduquée a le pouvoir de combattre. Une nation soumise ne sait rien.

Et tout ce beau monde sera de retour à l’âge de pierre quand leurs tablettes et pc tactiles ne pourront plus fonctionner. Tant mieux, encore. Je pourrai toujours envoyer des messages manuscrits en pigeon voyageur s’il n’y a plus de courant alternatif. Aussi, le minerai constituant des écrans tactiles, l’indium, extrait pour sa majeure partie par les mineurs chinois (plus de 5 000 mineurs meurent en Chine chaque année pour nos besoins réguliers et toujours croissants d’occidentaux) devrait arriver à son terme vers 2020. De quoi laisser le temps aux scientifiques de chercher une solution aussi précaire pour le plaisir de saloper l’écran avec des doigts gras au lieu de se foutre de l’encre plein les doigts.

Les savoirs s’ajoutent, se multiplient, s’accumulent, se partagent, se lèguent, se transmettent, mais en aucun un savoir ne devrait en remplacer un autre. Écrire sur un clavier, comme je suis en train de le faire, ne me dérange pas, cela change ma façon d’écrire mais en aucun cas je ne m’arrêterai d’écrire à la main.
Cas pratiques au quotidien : tu rempliras un chèque sur photoshop? (ben non, paypal est là) Tu le mettras dans une enveloppe remplie aussi sur photoshop puis imprimée? (ben non, l’e-mail est là) Tu laisseras un mot doux à ton amour sur un papier imprimé rempli par word avec la police lucida handwriting? (ben non, tu laisseras ta tablette allumée sur l' »appli post-it » sur son oreiller… et y aura plus de batterie quand il ou elle rentrera…) Tu imprimeras ta liste de course? (ben non, t’as le e-commerce) Et j’en passe. Sans stylo, je perds en spontanéité. Sans stylo, quand je m’ennuie ou réfléchis, je ne pourrai plus faire de mignons gribouillages (à la Miro) ou écrire comme un dératé tout ce qui me passe par la tête sur un bout de feuille.

Le Monde moderne a fait de moi un vieux con très vite. Je me revois en 1998 en train d’expliquer à ma grand-mère de 78 ans pourquoi un pc (avec 4go de Disque Dur et très peu de logiciels) c’est cool (je ne me souviens plus pourquoi je voulais aussi m’en persuader). Je me vois 15 ans plus tard, ma grand-mère a quitté ce monde qu’elle ne comprenait plus et qu’elle trouvait bien futile. Je me vois 15 ans plus tard, aujourd’hui, à craindre la vacuité de mes contemporains et leur amour des biens de consommation qui leur sont imposés chaque année comme des « must have ». Ne nous laissons pas imposer notre style de vie par quiconque. Ne laissons pas de côté un quelconque savoir. Car un savoir ne peut pas être quelconque. Les gouvernements ont pour seul intérêt de réduire nos connaissances pour mieux nous maintenir en esclavage.

J’aurai 33 ans dans 2 mois, crucifiez-moi sur l’autel de la vanité contemporaine.

Découvrez nos autres chroniques ici : http://latetedelartiste.com/chroniques/